samedi 14 juin 2014

(bio)xénophobie

Nombre de plantes ornementales ont été introduites dans parcs et jardins, bien loin de leur région d’origine. La plupart d'entre elles restent bien sagement rangées sur leurs plates-bandes, mais il arrive toutefois que certaines d’entre elles s’échappent, se multiplient et "colonisent" nos milieux naturels… Ces plantes sont alors devenues ce que l'on considère comme des plantes "invasives".

On peut comparer l’attitude vis-à-vis de ces espèces végétales (ou animales d'ailleurs) considérées comme invasives à celle qui se manifeste contre les humains et qui mène à la haine raciale. On retrouve le même registre de vocabulaire, et donc d’attitudes, dans la « lutte » contre les « invasions » biologiques que dans les guerres contre d’autres peuples. Cela concourt à développer la peur, l’angoisse, la haine, la volonté de destruction…

En vertu de quoi un être vivant aurait plus de droits qu'un autre ? La rédaction de la Valériane (revue Nature & Progrès) s'est empressée d'aller interviewer quelques-unes de ces "envahisseuses" notoires s'étant exprimées ça et là de manière brutale, sous la menace de terribles sévices :

« Merci Monsieur le rédacteur en chef d'avoir accepté sans trop vous faire prier (nous en tiendrons compte, soyez-en assuré) de nous ouvrir, afin de plaider notre cause, les colonnes de votre revue - dommage, n'est-ce pas, qu'il faille pour cela couper de beaux arbres afin d'en préparer le papier nécessaire à l’expression de la pensée de vos talentueux journalistes... Nous ne nous en plaindrons pas : l'abattage des superbes forêts qui jadis couvraient votre continent pour les remplacer par de vulgaires plantations d'arbres ou de riantes cultures nous a permis de prendre pied et de nous multiplier dans les environnements que vous avez profondément perturbés et laissés pour compte.

Mais permettez-nous de nous présenter. Je suis la renouée du Japon, originaire d'Extrême-Orient bien que je n'aie en rien les yeux bridés. Et voici la berce du Caucase, une vraie géante des montagnes, puis le robinier ou « acacia » et l'ambroisie, américains tous les deux, comme vous pourriez l'entendre à leur accent. Nous possédons au plus haut point la faculté de nous reproduire - le robinier et moi par nos robustes tiges souterraines, mes compagnes par des semences fort efficaces et produites en quantité phénoménale. Alors c'est vrai que nous avons un peu tendance à nous étaler, nous ne sommes pas vraiment très discrètes et il nous arrive de prendre la place de plantes qui étaient là avant nous... C’est l’être humain, vos parents proches ou déjà lointains, qui nous ont permis à nous, pauvres Cendrillons exotiques, de nous développer. Dans nos pays d'origine, nous vivions tranquillement, sans déranger quiconque, comme de bonnes plantes bien rangées. Au fond, nous croupissions, loin de nous douter de notre extraordinaire potentiel de propagation. L’homme qui nous a transplanté pour son bon plaisir nous a révélé à nous-mêmes en nous permettant de découvrir des milieux qui nous conviennent parfaitement et d’où nous pouvons déloger les tristes maigrichonnes qui y végétaient. Dans notre monde, c’est vrai, la pitié n’existe pas. Nous ne sommes que de pauvres plantes incapables de jugement. Ah, si comme les humains nous pouvions être douées de raison et de sentiments… Quoique, dans le fond, agissent-ils mieux que nous malgré toutes leurs belles théories ? N’on-t-ils pas créé un système où ils règnent en monarques absolus sur l’ensemble de la création et d’où tous les êtres qu’ils n’ont su dominer sont impitoyablement exclus – même d’ailleurs, malgré leurs bonnes intentions de surface, leurs propres congénères trop faibles pour « réussir » ? Cette nouvelle croisade contre nous autres « plantes invasives » ressemble à s’y méprendre à une chasse aux sorcières, dont bien entendu, modernisme oblige, la science se porte garante.

Le tout sur fond de racisme : en quoi aurions-nous moins de droits que les plantes qui se trouvaient ici avant notre arrivée ? Elles non plus n’ont pas toujours été là. Elles ont débarqué au fil des refroidissements et des réchauffements du climat sans qu’un quelconque Le Pen paléolithique ne vienne contester le bien-fondé de leur présence… Plantes « invasives » et immigrés : même combat ! Certes, avouons-le, nous avons quelques défauts. Mon amie la berce est photodynamisante, c’est-à-dire que si on la déchiquète à la débroussailleuse en short, torse nu par un plein soleil d’été, on a toutes les chances de finir la soirée à l’hôpital, couvert de décoratives brûlures, conséquences de l’effet de son suc qui empêche la pigmentation de la peau de jouer son rôle protecteur. On peut aussi laisser ma copine tranquille… L’ambroisie est un tantinet plus pernicieuse car même si on ne lui fait rien, elle dissémine dans les airs des quantités industrielles de son impalpable pollen, cause de nombreuses allergies. Mais soyons honnêtes là aussi, un peu d’objectivité que diable : l’homme devient de plus en plus sensible à cause de son mode de vie, en particulier de la contamination par les innombrables polluants nés des technologies modernes, de l’habitude des atmosphères confinées ainsi que du stress toujours plus envahissant. Une solution constructive consisterait à prévenir le problème : pourquoi ne pas en chercher la cause et l'éliminer. Plus difficile que d’éradiquer quelques plantes rendues responsables de tous les maux, non ?

Et dites-moi, êtes-vous au courant de nos qualités ou personne ne vous les a-t-elles encore révélées ? Tenez, moi qui vous parle, je me trouve être une excellente plante comestible, fort appréciée dans mon Japon d’origine. Mes jeunes tiges, toutes tendres, sont acidulées comme de la rhubarbe et se préparent en quiches, en tartes ou en compotes. Elles sont creuses et l’on peut les farcir, végétal délice, d’un mélange de fromage blanc, de sirop d’érable et de noisettes moulues… Quant à mes jeunes feuilles, elles enveloppent en Roumanie du riz et des oignons à la manière des feuilles de chou. Vous savez, pour que je reste raisonnable, il suffit de m'aimer beaucoup et de me récolter souvent. Dans ce cas, promis, je ne vous envahirai pas ! Souvenez-vous aussi que l’acacia fleurit suavement en longues grappes blanches et parfumées dont on prépare de succulents beignets. Le terrible buddleia nourrit de son nectar les papillons que les pesticides ont épargné. Et même l’odieuse berce du Caucase s’avère très bonne à manger, tout comme sa cousine des prairies, la berce spondyle. Sa saveur est certes plus forte mais ses propriétés médicinales sont absolument remarquables – et encore méconnues en Europe occidentale. Dans ses montagnes d’origine, on révère la grande berce à l’égal du ginseng car comme la célèbre panacée asiatique, elle possède la propriété de régénérer les organismes fatigués - d’où les vertus aphrodisiaques dont on la crédite. Faut-il aller chercher plus loin le secret de la légendaire longévité des peuples du Caucase ?

Mais trêve d'égoïsme. Je voudrais évoquer ici toutes ces pauvres plantes sauvages qui vivaient sans ennuyer personne dans une nature intacte, et que l'homme a cruellement détruites en éliminant la végétation d'origine. Je vous propose de nous recueillir un instant à la mémoire de ces martyrs tombés au champ d’honneur. Quant à l’homme, cause de tout le marasme actuel, il n’a finalement qu’à s'en prendre à lui-même. S’il tient vraiment à nous éliminer, c’est très simple : il lui suffit de laisser la végétation se débrouiller comme elle l'entend jusqu’à son climax, l’état ultime qu’elle atteindra en se développant sans entrave, et croyez-moi, nous disparaîtrons. Le véritable environnement naturel en Europe est la forêt. Point final. Et nous ne pouvons y vivre : pas besoin d'herbicides ou de grandes campagnes contre nos modestes personnes, la nature elle-même s’en charge. Mais honnêtement, qu’est-ce qu’il veut, l’homme ? La nature ? Tu parles, la nature arrangée à sa sauce, oui, bien propre en ordre, à la Suisse ! Dans ce domaine là aussi, il ne cherche que le pouvoir.

Mais Monsieur le rédacteur en chef, je voudrais vous confier quelque chose qui nous chagrine. Nous sommes jalouses. Oui, jalouses du chou et de la carotte, bien davantage encore du maïs et du blé. Voilà des plantes qui ont réussi ! Au prix, il est vrai, de modifications profondes qui les rendent fort différentes de leurs ancêtres spontanés. Voyez quelle superficie énorme couvrent ces brillants végétaux que l’homme propage de par le monde. Y a-t-il commune mesure entre les milliers de kilomètres carrés qu’ils soustraient aux plantes naturelles et les quelques misérables parcelles où l’on nous traite d’envahisseuses ?

Remettons donc, voulez-vous, l’église au milieu du village : le véritable envahisseur, c’est l'homme, qui du fond de son Afrique profonde s'est plu à étendre sa loi sur l'ensemble de la planète, bouleversant sur son passage tous les équilibres naturels. Nulle autre espèce ne prolifère au point de mettre en péril la vie sur terre. Peut-être un jour devrons-nous, végétaux, animaux, champignons et autres organismes, ériger un tribunal pour juger les méfaits de ce genre humain prétentieux. En fait, ce n'est sans doute pas la peine : l’homme en meurt déjà sans même s’en rendre compte. Oh non, nous ne sommes pas les plus à plaindre, nous nous en tirerons toujours... Mais voilà, s'il vous plaît, cessez de nous diaboliser ! Et encore merci pour votre attention. »

Texte de François Couplan

jeudi 17 avril 2014

C'est quoi une plante ?

L'article précédent forme une excellente transition pour parler un peu des principes actifs. Si on veut comprendre ce qu’est un principe actif, il faut comprendre ce qu’est une plante, et quelle est sa principale particularité. Question : qu’est-ce qui différencie une plante d’un animal ? La réponse est contenue dans la question ! Une plante est « plantée », alors qu’un animal est « animé ». Alors que l’animal peut se déplacer pour fuir un prédateur, se nourrir, se reproduire bref, faire sa vie, la plante est quant à elle contrainte à l’immobilité – relative (voir anatomie et physiologie végétale). Il leur a donc bien fallu mettre en place des stratagèmes pour se défendre des prédateurs et autres parasites, se protéger des conditions environnementales qui leurs sont directement imposées, et donc survivre afin de se reproduire. Ces stratagèmes, ce sont les principes actifs : des molécules produites par un métabolisme « secondaire » (le primaire étant lié à la production de composés essentiels à la structure chimique de l’organisme vivant en question – ici la plante – et majoritaires en quantité – glucides, protides, lipides…), issus de processus chimiques plus fins et plus complexes, synthétisés à partir des composés du métabolisme primaire, et dont le rôle précis n’est pas toujours bien connu (défense contre les agressions extérieures ;  porteurs d’activités thérapeutiques ou toxiques). Alcaloïdes, hétérosides, coumarines, phénols, tanins, terpènes, flavonoïdes… sont des composés de ce métabolisme secondaire. Ils ont une action physiologique et chimique avec les molécules et donc les cellules des autres organismes vivants, dont l’homme. Pour répondre à la question « une plante est-elle forcément médicinale ? », la réponse est OUI ! Elle peut être toxique aussi bien sûr, mais les poisons les plus mortelles n’ont-ils pas une action thérapeutique à faible, voire très faible dose ? Il n’y a malheureusement plus de sorcières pour nous le dire, mais il y a encore les pharmaciens (l’exemple de la digitaline pour les problèmes cardio-vasculaires est sans doute le plus parlant, car c’est un principe actif très toxique à relativement faible dose !).

Empiriquement connus depuis la nuit des temps (ou du moins soupçonnés), mis sur le devant de la scène par les chimistes vers le début du XIXe siècle, les principes actifs sont aujourd’hui la base de la médecine allopathique, phytotérapeutique, homéopathique, et toute autre pratique pour laquelle il s’agit d’absorber une substance médicamenteuse naturelle ou non. Ce qui est d’ailleurs paradoxal, car dans l’inconscient collectif, « les gens » ont du mal à admettre qu’une plante puisse être médicalement efficace, alors que ces mêmes « gens » vont se bourrer de pilules dont les principes actifs sont majoritairement extraits des végétaux, ou reproduits en laboratoire sur la base de molécules végétales. Je catégorise volontairement une certaine classe de population réfractaire à toute forme de « pratiques au naturel », bien que les mouvements alternatifs pour des pratiques plus justes et raisonnables soient en passe de devenir majoritaires. Mieux ! Tandis que grandit l’intérêt populaire de la médecine par les plantes et les pratiques alternatives, se développe dans les milieux scientifiques et réglementaires – les deux étant étroitement liés – un curieux phénomène de suspicion envers les végétaux. Il est légitimé par les quelques (rares) incident lié à l’automédication et le principe de précaution, ce dernier étant appliqué plus sévèrement avec les végétaux sauvages qu’avec les végétaux cultivés alors que nos aliments courant regorgent de principes actifs potentiellement toxiques (oxalates dans les épinards dangereux en cas d’insuffisance rénale ou de problèmes articulaires, furanocoumarines dans le zeste de citron connus pour leur action photodynamisante, etc.). Encore un paradoxe comme l’être humain sait en avoir… Si une règle d'hygiène devait prévaloir quant à l'utilisation des plantes en général, c'est de varier et de se méfier des idées reçues sur l'innocuité ou la toxicité de tel ou tel végétal.

A suivre : quelques plantes et leurs effets thérapeutiques !

Les plantes médicinales

Après avoir – en partie – étudiés les plantes comestibles, nous avons introduit en début de seconde année les plantes médicinales. C’est un vaste sujet, si bien qu’elles nous suivront jusqu’à la fin de notre formation et même au-delà, à l’instar des plantes comestibles. Tiens, je me questionne tout en écrivant ces mots : pourquoi cette catégorisation systématique – plantes médicinales / plantes comestibles ? Cette approche, comme souvent et je me rends compte qu’au fil de mes articles j’en parle beaucoup, a tendance à cloisonner notre vision des choses. Où situer le thym par exemple, dans quelle « case » ? C’est à la fois une excellente herbe aromatique et un médicament très efficace, connu depuis la plus haute Antiquité. Et finalement, quelle plante n’est pas médicinale ? Tentons d’y voir plus clair.

Il y a 2500 ans, Hippocrate donnait ses recommandations en matière de santé : « Que ton aliment soit ton remède ! ». Ce précepte a malheureusement disparu du discours médical d’aujourd’hui, avec tous les dommages collatéraux qu’on lui connait (diabète, obésité, Alzheimer, etc.). Sommes-nous en mesure de trouver aujourd’hui un médecin généraliste qui nous questionne sur nos pratiques alimentaires quand il établit son diagnostic ? Je parle du médecin lambda, pas de celui qui est ouvert aux pratiques de médecines douces ou alternatives, entendons-nous. Bon, ce n’est peut-être pas de leur faute ! Après tout, ils sont diplômés de médecine… Ah ! Voilà peut-être un élément important du problème. Parole de médecin : « la nutrition et la diététique ne sont plus dispensés en tant que système préventif dans les facultés de médecine ». Intéressant ! Mais on ne va pas s’étaler là-dessus, revenons aux plantes médicinales.

Qu’est-ce qu’une plante médicinale ? Il existe une définition officielle, qui je dois l’avouer me pose problème. Une plante médicinale est un végétal doué d’un effet thérapeutique, sans être exagérément toxique pour l’organisme. La deuxième partie de la définition est plutôt floue ! Ça veut dire quoi exagérément ? Pour reprendre l’exemple du thym, il peut s’avérer "exagérément" toxique pour le foie en cas de prise continue et à dose importante ! Bien sûr, la toxicité du thym n’a rien en commun avec celle de la cigüe, qui est mortelle à faible dose… Mais attention quand même, faire preuve de bon sens, et ne jamais utiliser tous les jours une même plante en prévention (primum, non nocere), car au bout d’un certain temps, les principes actifs vont s’attaquer à d’autres parties que celles pour lesquelles la plante était initialement utilisée.

vendredi 14 février 2014

Ethnobotanique ta plante !

Qu'on se le dise, nous sommes tous un peu ethnobotanistes. Toutes les plantes ont, auront ou ont eu à un moment de leur histoire, un lien avec l'homme : nous achetons des roses, lesquelles possèdent une symbolique forte ; nous mangeons des tomates, ces dernières ont été découvertes et introduites par et en Occident lors des grandes conquêtes de Christophe Colomb... Plus simplement, nous sommes d'éternels curieux, nous avons un faible pour la cuisine exotique, nous nous informons sur les pratiques culinaires en général, etc. Même la viande que nous consommons habituellement est, en quelque sorte, liée à l'histoire du blé, du soja ou du maïs, qui des siècles durant ont accompagné les hommes. Reste à savoir dans quel champ d'application l'on se situe, quel sorte d'ethnobotaniste nous sommes : amateur, professionnel, spécialiste ? A chacun sa définition. Une chose à retenir cependant, malgré la connotation péjorative du terme amateur, il est intéressant de savoir que ce mot est dérivé du latin amator : celui qui aime ! En ce qui me concerne, je me situerais à cheval entre l'amateur et le professionnel, tentant d'appliquer, quand cela me convient, les méthodes du professionnel tout en tenant à distance les objectifs de résultats qui peuvent avoir tendance à cloisonner les sujets d'étude.

Pourquoi faire de l'ethnobotanique ? Il existe des tas de raisons : curiosité, envie d'apprendre, goût pour l'exotisme, etc. Pour être tout à fait franc, au départ je me suis intéressé à cette discipline pour, à terme, retrouver un peu d'autonomie alimentaire. Au-delà de cette considération, j'ai décidé de me lancer dans cette aventure lorsque je me suis aperçu que le végétal est la pierre angulaire de tout le système vivant, dont nous faisons tous partie depuis toujours. Il met en lien l'air, l'eau, la terre et les autres êtres vivants de manière tout à fait singulière et passionnante.

Etudier le végétal, c'est finalement s'intéresser à Tout, c'est ouvrir une porte vers l'exploration du monde au sens large. S'intéresser aux plantes et aux liens qui les unissent au reste du vivant et donc aussi à l'homme, c'est aussi découvrir le fonctionnement des sociétés. Etudier les plantes, c'est encore tenter de comprendre nos comportements alimentaires, pourquoi nous mangeons tel fuit ou tel légume plutôt que d'autres... c'est en quelque sorte retracer notre propre histoire, avec tout ce qu'elle comporte de symbolique ! A ce propos, il est intéressant de noter que la plupart des végétaux consommés en France ou en Europe sont originaire de pays lointains (voir article sur les plantes voyageuses). Le terme "local" ou "bien de chez nous" en prend un sacré coup! L'identité culturelle liée à l'usage de certains produit dits locaux peut s'avérer difficile à préserver...

D'ailleurs, je suis persuadé que la plupart d'entre-vous sont d'avantage intéressés par la cuisine exotique et les traditions culinaires du monde que par les betteraves, navets ou autres poireaux de France. Vous avez raison ! C'est tout à fait passionnant (soyez néanmoins sensibles à l'impact écologique lié à la production et l'acheminement de ces produits exotiques jusque chez nous). Pour vous mettre en appétit, je vais vous en dévoiler quelques-unes mais avant tout, je souhaiterais revenir sur une notion fondamentale, l'acte de manger.

Manger peut sembler anodin, quelque chose de parfaitement naturel. D'un point de vue biologique, peut-être (encore que nous ayons perdu tout instinct de (re)connaissance d'une nourriture saine et de qualité). Mais culturellement et socialement parlant, c'est beaucoup plus technique ! L'alimentation se construit en un agencement varié d'éléments de patrimoines culturels, d'identités nationales ou familiales, de symboles (en particulier le statut social), d'enjeux politiques ou encore de santé publique. Nous mangeons du symbole, tout en observant des pratiques rituelles elles aussi empreintes d'une symbolique forte (prières, règles de bonnes conduites, sphères environnementales, etc.). Manger est donc un acte culturel. Comprendre cela est capital car chaque peuple possède sa cuisine propre à laquelle il est profondément attaché. C'est évidemment un fait d'importance, à prendre en compte lorsque l'on voyage, ou bien quand on est invité chez des personnes originaires d'un autre pays avec d'autres coutumes. C'est loin d'être anecdotique, et cela s'applique dans un sens comme dans l'autre ! N'avez-vous pas eu une envie irrépressible de fromage et de vin lors d'un voyage dans un pays qui n'est pas coutumier de ce genre de produit ? Personnellement, ça m'est déjà arrivé, et cela m'a permis de prendre conscience que le repas est un marqueur d'identité culturelle fort et très symbolique.

Manger, c'est donc loin d'être anodin. A en voir la richesse et la diversité des traditions culinaires du monde, on n'en douterait pas. Au gré des mouvements de populations et de l'évolution des pratiques agraires, de la standardisation des échanges commerciaux et culturels perpétrés depuis des millénaires, l'alimentation est devenue un vrai sujet d'études, passionnant mais aussi surprenant ! Si les différents pays du monde avaient conservés leurs pratiques et leurs traditions sans apports extérieurs, les choses seraient bien différentes : pas de pizza en Italie, de frites en Belgique, de piment en Afrique, de café au Brésil, de bananes en Martinique... Soyons-en ravis donc, la "mondialisation" a permis un brassage culturel et donc alimentaire. Toutefois, restons vigilants, car nous courons vers la standardisation du modèle occidental (ou plutôt américain), avec lequel l'alimentation industrielle et fade (à l'image des fast-food) représente aujourd'hui dans l'inconscient collectif le nec plus ultra de ce qui est souhaitable (surtout dans les pays en voie d'occidentalisation). Élevons nos conscience et levons nous pour que ce jour n'arrive jamais et pour que l'alimentation continue d'être un bien commun non monopolisable.

Je vous ai promis un aperçu des traditions culinaires du monde, rendez-vous ici

dimanche 3 novembre 2013

Qu'est-ce qui pousse où ? pourquoi ? comment ? et avec qui ?

Les végétaux sont des êtres vivants certes dotés d’une adaptation particulièrement remarquable, mais sont néanmoins "territoriaux". Ils ne se développent pas n’importe où, n’importe comment ni avec n’importe qui. On ne trouve pas, par exemple (et pour l’instant du moins, allez savoir ce que la Vie nous réserve ?) de Manguier (Mangifera sp., arbre des zones tropicales) sous nos latitudes, ni de Génépi (Artemisia glacialis, plante des roches de hautes montagnes) en forêt équatoriale ! Et il n’est pas n’ont plus concevable de retrouver côte à côte un Séquoia géant (Sequoiadendron gigateum, arbre géant des forêts tempérées Nord-Américaine) et un Figuier de Barbarie (Opuntia ficus-indica, plante de la famille des Cactus, des milieux secs).

A travers ces deux exemples se dégagent deux notions. D’une part, qu’une unité de type de végétation semble associée à des conditions géologiques et climatiques particulières au sein d’une aire géographique donnée – on parle de biomes (du grec bios, vie) ; d’autre part qu’il existerait une forme d’association des végétaux mettant en évidence la façon dont ils vivent entre eux, leurs dynamiques et leur évolution – il s’agit de la phytosociologie (ou vie sociale des végétaux).

Aussi, biomes et phytosociologie s’associent forcement à des notions de géologie (étude de la Terre) et de pédologie (du grec pedon, sol, terre ; étude du sol) qui vont être des outils permettant à la phytosociologie et à l’étude des biomes de s’articuler.

Ce week-end donc, c’est un vaste programme qui nous attend. Loin d’être des sciences exactes, ces études nous permettent d’avoir une idée assez précise de l’écologie d’un milieu observé, quel que soit l’endroit sur terre où nous nous trouvons, et donc nous informer du climat, de la nature du sol ou encore des espèces végétales susceptibles d’être rencontrées. Cela constitue un critère majeur pour notre futur activité en tant qu’ethnobotaniste, nous permettant d’avoir toutes les cartes en main pour analyser au mieux le milieu dans lequel nous évoluons, ses caractéristiques et ses dynamiques, et d’avoir l’opportunité de savoir nous adapter à ces observations. Pour l’approche phytosociologique, nous pouvons la concevoir depuis deux angles distincts :
  • La présence de certaines plantes dans un milieu donné permet d’en déduire les caractéristiques écologiques ;
  • Les caractéristiques écologiques d’un milieu permettent d’aider à l’identification de certains végétaux ou mettre en évidence la végétation potentielle de ce milieu.

Elle est un formidable outil de lecture du paysage, quelle que soit l’échelle de grandeur (de la grande forêt à un petit biotope de quelques dm²) et nous permet surtout de prendre conscience d’un caractère fondamental du vivant : le dynamisme. Le dynamisme est sans doute le caractère naturel qui donne le plus de fil à retordre à nos scientifiques, en particulier dans l’élaboration et le suivi rigoureux du code CATMINAT. Ce code, qui se veut classer et catégoriser les types de milieux écologiques est confronté au dynamisme, qui veut qu’un paysage soit en constante évolution, que ce soit par naturellement ou par la main de l’homme. Aujourd’hui, telle friche possède tel ou tel caractère, présente telle ou telle espèce végétale, mais demain… demain, elle aura évolué. Rien n’est figé. Pas même les forêts primaires. Elles sont aussi soumises au dynamisme évoqué plus haut. Et si d’aucuns s’empresseraient de leur trouver une quelconque justification morale, sage ou philosophique susceptible de leur conférer une valeur dont elles seraient plutôt dépourvues en elles-mêmes, rappelons que la terre entière est un gigantesque bouillon de vie en mouvement, créant et faisant disparaitre des espèces, façonnant sans cesse les paysages, et que cet élan évolutif continuera bien après l’homme. Alors, tenter de comprendre les mécanismes sous-jacent à l’évolution, oui ! mais strictement les classer, non ! Il faut savoir faire preuve d’humilité, et apprendre à considérer la nature autrement que par les principes mécanistes hérités du siècle des Lumières.

samedi 2 novembre 2013

Introduction à la mycologie

L’appellation Collège Pratique d’Ethnobotanique ne veut pas nécessairement dire que l’on doit restreindre notre apprentissage aux plantes. Et puisque nous avons vu que ces dernières étaient intimement liés à la nature et à la composition du sol, il va de soi qu’une introduction à la mycologie soit de mise.

Après avoir abordé la physiologie – ô combien différente de celle des végétaux ! des champignons macroscopiques, nous avons tenté d’en dépeindre les différents caractères de détermination. Quels critères observer ? Quels sont les principaux comestibles ? Quelles sont les confusions notables avec les champignons toxiques ?

Un travail intéressant qui nous permettra d’élargir nos cueillettes et donc nos recettes de cuisine, car les champignons, malgré leur apparence peu ragoutante, sont une importante source de vitamines et de minéraux.

Alors pourquoi s’en priver !

lundi 30 septembre 2013

Anatomie et physiologie végétale


Sur la table étalé en patchwork, l’essentiel de mes fournitures : carnet de notes, trousses avec bazar de stylos en tout genre, loupe, scalpel, etc. Me voilà prêt pour le jour J du lendemain. Eh oui, c’est la rentrée des classes ! C’est parti pour une deuxième année en compagnie de François Couplan et son équipe, et de mes camarades avec lesquels je me suis lié d’amitié (si bien que l’on se voit en dehors des périodes de formations).

Et quoi de mieux pour se remettre dans le bain qu’un petit rappel de terminologie ? Si, souvenez-vous des noms barbares que l’on utilise pour décrire une plante en botanique ! Comme si les termes appris au premier cours de la première année ne suffisaient pas, voilà qu’on nous présente aujourd’hui de nouveaux termes ! Dur dur d’être un botaniste…

Après ce petit échauffement cérébral, il est question d’anatomie et de physiologie végétale. C’est vrai que jusqu’à présent, nous n’avions pas abordé la "structure" et le "fonctionnement" des végétaux. Je place volontairement des guillemets car les plantes ne sont pas des machines !

Pour commencer, voyage dans la cellule végétale ! C’est amusant et en même temps déroutant de voir à quel point la nature est bien faite…

Dans ce gloubiboulga de matière visqueuse se cache en réalité une véritable usine à fabriquer de l’énergie, où chaque organite (chloroplaste, appareil de Goji, etc.) possède une fonction physiologique indépendante et spécifique. La photosynthèse est le produit fini de cette "usine", qui comporte néanmoins sa propre "chaine de production" de cellules permettant à la plante de croitre, donner des feuilles, des fleurs, des fruits…

Dans ce cours, nous avons eu l’occasion d’aller chercher très loin dans l’infiniment petit, car pour comprendre la division cellulaire, il faut comprendre la mitose (division chromosomique) et donc comment l’ADN se comporte. C’est une sorte d’initiation au voyage en nous-même car la division cellulaire n’est pas spécifique aux végétaux mais se produit chez tous les êtres vivants, animaux, champignons, bactéries, etc. Elle se produit donc en nous, en permanence, et contribue à nous maintenir en vie !

Je me rends aujourd’hui compte de l’envergure de la tâche que je me suis donner d’accomplir en entrant dans cette formation. Je me souviens avoir dit, lorsque nous nous présentions : « je voudrais tenter de comprendre le monde (au sens large du terme), avec sagesse et humilité ». Sacré défi…

vendredi 9 août 2013

On prend les mêmes et on recommence


En ce mois de juillet, nous sommes heureux de nous retrouver une nouvelle fois à Barrême. Bien qu’orageux, un bel été laisse place au printemps inqualifiable (disons "humide" pour rester poli) que nous avons subi au mois de mai. De cette période de pluie, la nature en garde certainement un bon souvenir : « je viens ici depuis plus de 40 ans, ça n’a jamais été aussi vert que cette année ! », nous confie François Couplan. Les conditions sont donc idéales pour "herboriser" !

Mais pas que. Cuisine (avec notamment la présence d’une amie de l’équipe, Keiko Imamura (http://www.couplan.com/fr/presentation/keiko.php), qui nous enseignera l’art culinaire japonais), ateliers sensoriels ou encore expérimentation d’une nuit à la belle étoile, seul et en pleine nature sans toile de tente seront aussi au programme.

Une nouvelle fois, nous aurons l’occasion d’approcher les plantes que nous rencontrerons d’abord par l’observation botanique pure, puis par les sens qui nous permettent d’une part d’être en contact physique avec le végétal, d’autre part d’autre part d’ouvrir plus largement notre vision des choses, trop restreinte à la simple observation visuelle des caractéristiques. L’émotionnel rentre souvent en jeu. Les odeurs, textures et autres bruits d’une plante stimulent notre système cognitif et notre mémoire sensorielle, de manière à faire apparaitre un souvenir ou d’en créer de nouveaux, subtils et durables. C’est ce que nous avons pu découvrir à l’issue de plusieurs petits jeux sur les sens, dont j’ai par ailleurs été l’animateur. C’était assez drôle de remarquer que l’approche par les sens pose un réel problème de vocabulaire (surtout pour les odeurs ou le goût). Comment mettre des mots sur ce que l’on ressent quand nos sens sont en action ? Il s’agit souvent d’un ressenti personnel, baigné dans un mélange de notre bagage culturel et de notre vécu. Encore une fois, l’essence des choses – et donc de la nature – ne rentre pas dans des cases, et tenter de mettre des mots sur une émotion personnelle est aberration.

Parmi les petits jeux auxquels nous avons joué, j’ai eu l’occasion de mettre en place un fil d’Ariane. Il s’agit de placer une corde tendue entre plusieurs arbres pour tracer un parcours et dont l’objectif est de suivre le fil yeux bandés en ouvrant ses sens à l’environnement proche. Il faut savoir prendre son temps, écouter les bruits alentours, sentir les odeurs de fleurs qui peuvent émaner quand on passe à proximité, être attentif à la texture du sol si on fait le parcours pieds nus ou de l’écorce des arbres avec ses mains, ou encore d’essayer de ressentir la proximité des branches ou des obstacles avant de les heurter… C’est un jeu sensoriellement parlant très intéressant, intense en émotions, ou tous les sens sont en alerte. Le fil d’Ariane peut varier à l’infini : on peut le faire de nuit, avec des enfants, le ponctuer d’objets à récupérer pour une éventuelle autre animation (comme l’a récemment fait Jean-Noël Oger (http://www.savoirfaireplusavecmoins.com/) lors d’un stage de survie douce à l’occasion d’un enterrement de vie de jeune fille), ou encore fabriquer un labyrinthe de fils…

Ainsi vont nos stages, on s’amuse et on découvre, on se découvre. Et puisqu’il est ici question de découverte, voici encore quelques plantes décrites dans leur intimité. Avec en bonus, quelques recettes.

samedi 29 juin 2013

L'homme e(s)t la nature


Sujet délicat… Il renvoie à une multitude de questions. Les premières : c’est quoi l’homme ? et c’est quoi la nature ? Tenter de définir ces deux termes c’est déjà faire un grand pas dans l’élargissement de sa conscience tant ils renvoient à de nombreuses pistes de réflexion. Ce n’est qu’après avoir avancé sur ces deux définitions qu’on peut se lancer sur les chemins des relations de l’homme avec la nature, et de nos différentes visions du monde.


L’HOMME
L’homme, c’est d’abord et surtout un animal. N’en déplaise à certains, nous sommes le fruit d’une lente et complexe évolution, comme tout le reste du vivant, et nous ne sommes pas plus « évolués » qu’une plante ou une bactérie (j’y reviendrai…). Pour nous replacer sur cette échelle de temps que représente l’évolution des espèces, tachons de discerner le genre Homo (ce qui nous différencie de nos amis les autres primates) grâce aux récentes découvertes archéozoologiques et plus précisément en matière de phylogénétique. L’homme « moderne », Homo sapiens serait apparu il y a environ 200 000 ans alors que le genre Homo il y a environ 2,5 millions d’années.



Dans cet arbre généalogique on remarque que les genres Homo et Pan (chimpanzés) sont relativement proches. En fait, la phylogénétique établie aujourd’hui que le génome du genre humain ne diffère que de 0,27 % de celui des chimpanzés, et de seulement 0,65 % de celui des gorilles ! Mieux, l’Homo sapiens est l’espèce actuelle la plus proche des chimpanzés, et inversement ! De quoi redonner son animalité à l’homme.

J’ai osé dire un peu plus haut que les hommes modernes que nous sommes n’étaient pas plus « évolués » qu’une plante ou une bactérie. C’est biologiquement vrai et incontestable. Chaque espèce est adaptée à son milieu de vie. Parler en termes de supériorité d’une espèce sur une autre relève de jugements de valeur. Certes, nous possédons des caractères anatomiques et physiologiques nombreux et complexes, nous permettant entre autres de communiquer oralement avec nos semblables, de pratiquer des activités culturelles, de conceptualiser les choses, etc., mais il me semble important de noter que tous les critères d’évolution permettant de classer les êtres vivants ont été déterminés par l’homme, et souvent à son avantage. Pourquoi le ratio poids corporel/poids du cerveau serait un caractère « supérieur » à celui de la « polyvalence du nez » (qui ravirait surement les éléphants !). Nous sommes évidemment différents des autres animaux et du reste du vivant, mais certains s’efforcent à vouloir trouver quelque chose qui soit propre à l’homme, peut-être dans le but de prouver que nous ne faisons pas (ou plus) partie de la nature et que nous lui sommes supérieurs. C’est peut-être vrai, d’ailleurs l’homme est bel et bien le seul être vivant capable de profondément modifier (mutiler ?) son environnement… C’est vrai pour un occidental moderne qui semble s’être « éloigné » de la nature et de sa propre nature, mais nettement moins pour un aborigène du siècle dernier.

Il est donc difficile de définir l’homme en tant que tel, car d’une culture à l’autre et selon l’évolution de ses pratiques dans le temps, les conceptions diffèrent. Il est d’autant plus difficile de découvrir chez l’homme ce qui est constant est fondamental qu’il est impossible d’avoir le recul nécessaire pour observer des phénomènes auquel le sujet observateur et le sujet observé sont soumis et influencent leurs modes d’analyses et de pensée en général. C’est là tout le problème pour définir l’homme… C’est qu’il conceptualise les choses, lui donnant une infinie variété d’opinions, de prises de décisions et donc de possibilité d’actions. En résulte l’extraordinaire diversité culturelle d’aujourd’hui (non sans conséquence…). Pour en finir avec cette définition de l’homme, disons que l’on comprend aisément que c’est un animal complexe et qu’il est difficile d’en dégager des caractères qui lui soient propres, ce qui aura sans doute des conséquences sur les relations qu’il entretient avec le reste du vivant.


LA NATURE
Et la nature ? La définir me semble tout aussi compliqué. Même les dictionnaires ne sont pas tous d’accord, et il existerait une trentaine d’acceptions différentes… Je ne les énumérerai pas, mais disons que pour certains, la nature c’est tout ce qui vit sur Terre et dans l’Univers, pour d’autres, c’est tout ce qui est, c’est l’existence des choses, pour d’autres encore, c’est l’essence d’une chose, ce qui caractérise tout… En fait, il existe selon moi autant de définitions de la nature que d’individus sur Terre (ou ailleurs ?). Chacun de nous possède un bagage culturel et un vécu personnel qui permet de conceptualiser ce qui nous entoure. Cela influe en retour sur notre personnalité, nos émotions, etc., nous permettant de faire évoluer sans cesse notre perception du monde.

Il existe néanmoins deux courants de pensée qui définissent la nature de manière radicalement différente, et qui s’imposent plus ou moins comme « modèle ». Il s’agit de la vision religieuse et de celle des sciences. La première rapproche la nature à la Création divine, et dont toute chose sur Terre serait issue, dont l’homme qui possède un statut privilégié, supérieur au reste du vivant qu’il doit dominer pour subsister. « Dieu les bénit et dit : soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la Terre et soumettez-là ; dominez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre. » (Genèse 1:28). Ça fait peur… La science, quant à elle, se veut conceptualiser le monde au sens large (la vie sur Terre et tout l’Univers) comme un ensemble de processus mécanique, de lois explicables et vérifiables, en laissant peu de place au mystère.

Deux autres conceptions de la nature mériteraient aussi d’être abordées : celle de nature « sauvage » et de nature « maitrisée ». La première, hostile et inextricable, fait peur. On ne s’y sent pas en sécurité. Elle peut parfois paraitre dégoutante, sale (marais, jungle) ou dangereuse (la nuit, la montagne) et beaucoup d’histoires et de croyances entretiennent cette perception d’une nature hostile qui n’est pas faite pour l’homme. La seconde est plus sécuritaire. Elle n’est pas dangereuse car elle est choisie et gérée par l’homme. Elle est belle, permet de se ressourcer au calme sans avoir à s’en méfier. On peut l’admirer en se disant que la vie est belle. Ces morceaux de nature choisie sont le reflet d’une partie de nous refoulée : en choisissant la « belle nature propre », on choisit de rejeter notre propre nature et donc nos émotions plus sombres (angoisse, colère…), ainsi que tout ce qui est de l’ordre du spontané. Tout doit être calculé, réfléchi, le virtuel prend le dessus sur le réel.


LES RELATIONS
Ainsi, de multiples définitions de l’« homme » et de multiples définitions de « la nature » induisent de multiples relations entre eux. Et au fil du temps, ces relations ont beaucoup évolué. On pourrait se poser la question : comment en sommes-nous arrivés là aujourd’hui ? Pour tenter d’y répondre, on pourrait dresser un bref historique de l’évolution des perceptions du monde à différents instants clés dans l’histoire de l’homme.

Bien sûr, on ne sait rien de ce que les premiers Homo sapiens pensaient du monde qui les entourait. On peut néanmoins imaginer qu’ils vivaient avec nature plutôt que contre, se nourrissant des produits de leurs cueillettes et de la chasse, Mère nature étant généreuse. Une relation plutôt harmonieuse qui aurait pris fin dès l’apparition de l’agriculture. En effet, il s’agit d’une période clé au cours de laquelle l’homme prend conscience de la possibilité de modifier son milieu pour se nourrir et assurer ses besoins vitaux. Mais l’homme de cette époque paléolithique n’est pas passé brutalement de l’état de fusion avec la nature à celui de lutte contre elle, il s’en est plutôt progressivement détaché. Les archéologues datent cette prise de conscience il y a environ 100 000 ans grâce à la découverte de sépultures et de parures qui témoignent d’une révolution d’ordre symbolique.
Avec la révolution néolithique, les hommes ont eu la possibilité de vivre au quotidien sans avoir à rechercher leur nourriture, ce qui a constitué un profond changement considéré comme un début de séparation avec la nature. La mise en culture des plantes et la domestication des animaux ont eu pour conséquence un changement dans l’organisation sociale et religieuse de ces hommes qui peu à peu ont hiérarchisé leur société. Cette dernière évoluera pour devenir productiviste, expansionniste et conflictuelle.

La vision symbolique de la Terre-Mère bienfaitrice et féconde laisse peu à peu place aux dieux guerriers avec l’indo-européanisation. La société devient patriarcale et dominée par les mâles. Les sociétés agricoles évoluent vite en cités fortifiées pour lutter contre l’invasion ennemie, où il est aussi question de lutter contre les éléments naturels (orages, inondations, sècheresses…), donc contre la nature. On retrouvera cette domination des valeurs masculines un peu partout dans le monde, notamment au Japon, sans doute liée aux guerres inévitables, conséquence de la production et du stockage de la nourriture. C’est peut-être dès lors qu’on commence à parler d’« homme » pour parler de l’espèce humaine.

Le statut de guerrier devient rapidement respecté, presque vénéré. L’homme mâle se considère peu à peu comme un dieu, et avec la vision d’un Dieu mâle tout puissant créateur de toute chose et possédant toute puissance sur la Terre-Mère s’installe la tradition judéo-chrétienne. Jusqu’à la fin du Moyen Age, on prie Dieu le Père de rendre la Terre-Mère féconde et productive pour les hommes. Plus tard, lors de la réforme protestante du XVIe siècle, notre rapport au monde prend un nouveau tournant. La nature est désacralisée au profit du progrès technologique et du développement économique qui rendent l’argent et les biens matériels symboliquement plus forts que le patrimoine naturel.

Avec la science au XVIIe siècle, la nature sera littéralement reléguée au rang d’« objet », considérant que toute la vie est une création certes divine mais obéissant mécaniquement à des lois immuables. Le monde est vu comme une grande machinerie dont Dieu serait le mécanicien tout puissant. A cette époque, plus le temps passe, plus on découvre des choses sur la vie et son fonctionnement, si bien que Dieu a de moins en moins sa place dans la conscience collective. L’homme se retrouve peu à peu replacé au sommet de l’évolution dont les processus sont de mieux en mieux compris.

La perte de traditions cérémoniales et de pratiques religieuses communes liées à la nature donne naissance au XVIIIe siècle à différentes formes individuelles d’expressions de ses sentiments vis-à-vis de la nature. « Romantisme », « esthétisme » ou encore « poétisme » en sont les fruits. Il est intéressant de noter que ces courants de pensée, considérés comme une expression d’un « retour à la nature », naissaient en même temps que l’« industrialisation ». Alors que l’une, d’origine matérialiste, commence à souiller la nature, l’autre, à contre-courant, s’efforce à puiser en l’homme toute l’expression de ses émotions d’ordre naturel et spontané (peintures, écritures, art en général).

C’est aujourd’hui ces deux représentations du monde qui ont le plus cours dans nos sociétés. D’une part, un monde où la nature est une source de matière première corvéable à merci, de l’autre un monde issu des courants littéraires et artistiques : l’écologie et le naturalisme. Il s’agit d’une vision ethnocentriste occidentale bien sûr, mais ô combien effusive dans un nombre toujours plus croissant de sociétés traditionnelles (Amérindiens, Asie du Sud-Est, etc.), surtout en ce qui concerne l’industrialisation et le capitalisme sous-jacent.

Il serait beaucoup trop long d’aborder les différentes représentations du Monde dans les différentes ethnies. Pour aller plus loin : quand d’autres hommes peuplaient la Terre, nouveaux regards sur nos origines (Hublin, J.J et Seytre, 2008) ; L’âme de la nature (Sheldrake, 2001).

mardi 28 mai 2013

Du terrain, enfin !



Après 7 week-end en salle de cours avec, il faut l’avouer, peu de mise en pratique sur le terrain, nous voilà tous réunis pour une semaine « d’herborisation » ! Au programme : identification de plantes dans leurs milieux, initiation à l’utilisation d’une flore, cueillette, cuisine, et un peu de théorie sur les familles Orchidaceae (Orchidées) et Poaceae (Graminées).

La scène se passe à Haut-Ourgeas, au-dessus de Barrême dans les Alpes de Haute Provence, à 1000 m d’altitude. Le site est au cœur d’une nature laissée à elle-même depuis plusieurs dizaines d’années, ce qui lui confère un caractère assez sauvage ! Il est composé de plusieurs bâtiments réhabilités : un logement pour François Couplan et son équipe, une grande cuisine d’été couverte avec du matériel professionnel pour la cuisine en commun, et 100 m plus haut d’une ancienne bergerie réhabilitée en dortoir pour ceux qui souhaitent dormir en intérieur. Autour, plusieurs centaines d’hectares de nature disponibles pour la cueillette et l’identification de plantes.

La semaine s’annonce plutôt fraiche et humide et nous devrons la vivre en extérieur. Mais la convivialité et à la chaleur humaine auront raison de ce froid printanier et inhabituel !

C’est aussi l’occasion pour nous de mettre en exergue les cours de bases culinaires qui nous ont été dispensés lors du dernier week-end (avril). Matériels, techniques, cuissons et conservations, produits, découpes, nous aurons toutes les cartes en main pour faire de cette semaine une vraie rencontre de chefs étoilés, sauf l’expérience… Mais nous sommes là aussi pour ça : apprendre !

D’ethnobotanique, il en sera question à chaque fois que nous aborderons une plante, qui après s’être présentée, nous révèlera son histoire avec l’homme : pour la mise en pratique, chaque élève est encouragé à présenter une plante au reste du groupe en utilisant ce qu’il a appris lors des différents cours (spécialement les premiers qui traitaient de terminologie botanique et des familles de plantes à fleurs), ainsi qu’en invitant les autres élèves à approcher la plante par ses sens, ce qui peut s’avérer utile pour reconnaitre des plantes qui se ressembleraient beaucoup mais n’auraient pas la même odeur par exemple. Ensuite, François Couplan nous racontera son histoire, ses liens avec l’homme ou une anecdote, ses différents usages, ses propriétés médicinales, etc., ce qui a tendance à rendre la plante plus vivante, cela incite à la respecter.

Cette semaine aura aussi été l’occasion de nous découvrir encore les uns les autres. Les liens qui unissent notre groupe deviennent un moteur de cette formation, où chaque retrouvaille se fait plus forte que la précédente, où chaque discussion enrichit nos connaissances et ouvre notre vision du monde.


Pour découvrir quelques recettes à bases de plantes sauvages : cliquez ici

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vendredi 19 avril 2013

PNNS versus Français



Pour éviter de laisser d’éventuels doutes quant à l’alimentation s’installer dans la tête des populations, et pour lutter contre les fléaux des troubles du métabolisme (diabète, obésité, hypertension, etc.), le gouvernement français a eu l’idée de lancer un plan de santé publique qui se veut proposer des recommandations fiables et scientifiquement validées pour aider les populations à décrypter les informations parfois contradictoires que l’on entend tous les jours sur la nutrition, et ayant pour objectif de prévenir la maladie et avoir une hygiène de vie saine. Vous les connaissez bien ces recommandations ! « manger bouger », « pour votre santé, consommer 5 fruits et légumes par jour »…

En théorie donc, pour le bien des Français. Je ne vois pas le mal partout, mais j’ai tendance à imaginer une réalité un peu différente, faite de lobbying et pensée en termes de dollars. Pourquoi penser comme cela ? Eh bien parce qu’après 12 ans de fonctionnement, où ces projets politico-scientifiques ont dicté nos vies, 12 ans pendant lesquels 57 millions d’euros ont été dépensés pour la période 2001-2011 et 210 millions d’euros à venir (et on parle de crise ?!) les résultats sont loin d’être satisfaisants, voire inquiétants… Je rappelle que l’on parle de maladies qui font dorénavant plus de victimes que le SIDA à l’échelle mondiale ! Voyons ça.

D’après les autorités compétentes, l’obésité a augmenté d’environ 50 % sur la période 2000-2009, tandis que le diabète augmente à l’heure actuelle de 6 % par an (1 français sur 20). Autrement dit, on s’efforce davantage à trouver des méthodes pour promouvoir les recommandations nutritionnelles qu’à s’intéresser à l’efficacité réelle de ces recommandations. On pourrait peut-être mettre ces résultats sur le compte des Français qui seraient de mauvais élèves ? Même pas ! Toujours selon les autorités compétentes, il semblerait que ces derniers suivent de plus en plus ces recommandations et modifient leurs habitudes alimentaires (augmentation de l’activité physique, réduction de la consommation de sel, dédoublement de la consommation de fruits et légumes, diminution de l’apport en acides gras saturés, etc.).

Alors, si les conseils du PNNS (Plan National Nutrition Santé) sont suivis par les Français mais qu’ils n’ont pas les effets escomptés, peut-on remettre en cause leur réelle efficacité (rappelons qu’ils ont été validés scientifiquement) ?

En fait, le PNNS se fonde entièrement sur le principe de déséquilibre entre entrée et sortie d’énergie, et s’efforce à « pathologiser » l’obésité et le diabète en maladie, alors qu’ils sont des symptômes, la maladie étant un le dérèglement à l’origine de la prise de poids. Pourquoi ? Tout comme la médecine allopathique ne vise qu’à faire disparaître les symptômes, le PNNS ne s’efforce pas à cibler les vraies causes de la maladie. Qu’elles sont-elles ?

Si les troubles du métabolisme sont des maladies dites « de civilisation », c’est sans doute qu’ils prennent leur origine quelque part dans l’évolution culturelle des dites civilisations (sous-entendues occidentales). Or, il y a plusieurs facteurs qui caractérisent l’évolution des cultures occidentales. Premièrement, une modification radicale de notre alimentation lors de l’apparition de l’agriculture. On cultive et on mange de plus en plus de céréales au détriment des végétaux (lire à ce sujet les travaux de Jean Anthelme Brillat-Savarin de la fin du XVIIIe siècle). A la suite de cela, la société s’est hiérarchisée. L’agriculture apporte des richesses, on accède alors à plus d’aliments « nobles » et à l’opulence (viandes et produits raffinés). Après les grandes conquêtes, on accède à des aliments exotiques, symboles d’encore plus de statut social. Puis vient la révolution industrielle qui marque le début des véritables problèmes que l’on connait aujourd’hui : production excédentaire, produits de qualité médiocre et pollués, le tout dans un environnement gouverné par le stress et l’insécurité, où l’on culpabilise et infantilise les populations. L’Etat et les industriels rendent les « gros » coupables de s’être rendus malades. Et la médecine essaie de faire maigrir les gens pour les guérir au lieu de chercher ce qui les a rendus malade et donc fait grossir.

Rappel du PNNS :
« Pour votre santé, éviter les aliments gras, salés, sucrés »
Dans une société où les personnes interprètent les messages au pied de la lettre, un tel slogan peut s’avérer dangereux. Au placard alors les huiles, les graines oléagineuses, les poissons… ? NON ! Ne pas consommer d’acides gras est aussi dangereux que d’en consommer à l’excès. Les lipides sont essentiels !
« Pour votre santé, manger des féculents à tous les repas »
Le problème des féculents, c’est qu’une consommation excessive (et en manger à tous les repas s’avère être excessif) transforme l’excédent de glucides non « brulés » en graisses – eh oui, on fait des stocks !
« Pour votre santé, manger de la viande ou du poisson à chaque repas »
Je m’abstiendrai de faire un commentaire, lire à ce sujet les sacro-saintes protéines animales.

Pourquoi parler du PNNS dans ce blog qui traite d’une formation en ethnobotanique ?
Premièrement, parce que l’Histoire de l’alimentation humaine est au cœur de l’ethnobotanique, et que ses dérives occasionnent beaucoup de problème dans nos sociétés ; aussi parce que pointer du doigt le PNNS, c’est dénoncer un système dogmatique dans lequel on fragilise les populations pour mieux les contrôler, avec du profit à la clé ; et enfin pour montrer qu’il n’existe pas de régime miracle ou d’alimentation-qu’il-faut-absolument-avoir.

A ce propos, pendant ce week-end de formation, nous avons eu tout le loisir d’aborder les différents régimes, ou plutôt modes d’alimentation, dont certains sont plus proche de la thérapie ou d’un mode de vie à tenir que du régime. Nous avons pu mettre en évidence que quel que soit le régime, il y a toujours une faille, et que souvent, elle se situe dans le principe même de la « règle », c’est-à-dire d’être trop formelle, pas assez souple. Végétariens, végétaliens, crudivores, frugivores, instinctos, dissociés, macorbiotes, ou encore Seignalet, tous n’ont qu’une idée en tête, trouver LE régime alimentaire idéal, tout comme l’est la recherche de la vérité absolue…

Il n’y a sans doute pas de régime alimentaire absolument idéal. S’enfermer dans des principes stricts, c’est aussi s’enfermer dans l’idéologie, voire fleureter avec l’extrémisme et le fanatisme…  N’oublions pas que le repas est aussi un moment de partage et de convivialité entre les hommes mais qu’il peut vite se transformer en torture si la frustration prend le dessus sur l’acceptation. Acceptation de la différence et de l’autre, autant dans ses habitudes alimentaires ou ses considérations philosophiques. Et de conclure « qu’il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger » (Socrate) tout en gardant à l’esprit que « la fourchette tue plus de monde que l’épée » (proverbe québecois).

lundi 15 avril 2013

Les sacro-saintes protéines animales.



J’ai évoqué les plantes sauvages et leur intérêt nutritionnel. Avant de donner quelques exemples qui illustrent ce propos, je souhaiterais remettre en cause l’argument de la supériorité des protéines animales.

On parle souvent, lorsque le sujet « végétarisme » est évoqué, de problèmes de carences, notamment en protéines. Faut-il déjà savoir de quoi on parle. Que sont les protéines et quel est leur rôle dans l’organisme ? Je vous épargnerais ce supplice car c’est assez long à expliquer. Ce qu’il faut savoir, c’est que les protéines sont constituées d’acides aminés - molécules azotées qui sont en quelque sorte les briques de construction de notre organisme - et que notre corps n’est pas capable d’en fabriquer un certain nombre de par lui-même. Il s’agit de l’isoleucine, la leucine, la lysine, la méthionine, la phénylalanine, la thréonine, le tryptophane et la valine. Ils sont dits « essentiels ». Bien que les besoins varient (très) fortement d’un individu à l’autre et selon sa morphologie, son immunité, son stress, etc., on considère que pour que l’organisme utilise efficacement une protéine, il faut que celle-ci soit « complète », c’est-à-dire qu’elle contienne les 8 acides aminés essentiels en proportions à peu près semblables. Une teneur plus faible en l’un des 8 acides aminés et c’est toute la protéine qui en pâtit…

On sait que la viande, les laitages et les œufs sont riches en protéines, et de plus, qu’elles sont équilibrées en acides aminés essentiels. Ce que l’on se garde bien de nous dire en revanche, c’est que ces aliments apportent en même temps à l’organisme une quantité importante d’acides gras saturés, dont l’excès cause des troubles du taux de cholestérol, ainsi que des purines qui laissent des déchets toxiques dans notre corps.
Par ailleurs, d’un point de vue éthique et écologique, la production de viande pour notre consommation excessive est un scandale de gaspillage et de déséquilibre des civilisations. Quelques chiffres pour illustrer ceci…
·         Il faut 5 kg de protéines végétales directement utilisables pour l’homme pour produire 1 kg de protéine de lait, d’œuf, ou de viande blanche.
·         Il en faut 7 kg pour produire 1 kg de protéines de viande de porc.
·         Il en faut 17 kg pour 1 kg de viande bovine…
Et quand on sait que les protéines végétales dont il est question sont produites en majorité dans le Tiers-Monde alors que les produits animaux sont surtout consommés dans les pays industrialisés, il est aisé de se rendre compte que ce gaspillage s'accompagne d'un déséquilibre à l'échelle planétaire. Encore quelques chiffres :
La demande en viande devrait doubler dans les 40 ans qui viennent alors que nous utilisons 70 % de nos capacités agricoles pour la produire...

On voit doucement se dessiner le lien avec les végétariens. Alors, comment procèdent-ils ? Le végétarisme n’est pas une mode occidentale, et loin de moi l’idée d’en faire une publicité, j’apprécie beaucoup la viande (en quantité raisonnable, et de bonne qualité). Je ne fais qu’exposer des faits. Non, il s’agit de regarder au-delà de nos frontières et dans le temps voir comment nos voisins et aïeux procédaient et procèdent encore aujourd’hui sans viande.

La plupart des civilisations se sont édifiées avec l’apparition de l’agriculture au Néolithique grâce à l’utilisation des céréales et des légumineuse, sources d’énergie et facilement stockable. C’est là que résonne le son de cloche des diététiciens alors même que de nombreuses personnes ont retrouvé cette alimentation ancestrale. On les met en garde contre d’éventuelles carences en protéines. En théorie, ils n’ont pas tort ! En effet, les céréales sont assez bien pourvues en protéines (8 à 18 %), mais sont déficientes en lysine. Les légumineuses, elles aussi, regorgent de protéines (20 à 40 %) mais sont également déficientes non pas en lysine, mais en méthionine.

La carence en protéine est donc possible, sur le simple constat du déséquilibre en acides aminés essentiels des protéines des céréales et des légumineuses… consommées à part ! Car il a toujours été traditionnel de consommer ensemble céréales et légumineuses : riz et soja en Extrême-Orient ; blé et lentilles en Inde ; blé et lentilles, pois-chiches ou fèves au Moyen-Orient, maïs et haricot en Amérique Centrale, etc. La lysine des légumineuses permet de combler le manque de lysine des céréales, et vis-versa avec la méthionine.

Quel rapport avec les plantes sauvages et leur intérêt nutritionnel ? Patience, il s’agissait de présenter les protéines dans notre alimentation pour parler à présent des protéines vertes !

Protéines vertes sous-entend légumes verts. Et à bien regarder notre alimentation quotidienne, généralement pauvres en légumes verts, on se demande l’intérêt de ces protéines tant la teneur doit être faible (surtout nos légumes verts industriels forcés à l’engrais et arrosés à l’excès). C’est là que les plantes sauvages interviennent. Car l’étude mettant en avant la présence de protéines vertes ne date pas d’hier ! (M. Rouelle, chimiste, 1733). Mais les choses ont pris une tournure intéressante depuis les années 60, quand des équipes de chercheurs des USA, de France et de Grande-Bretagne se sont intéressées aux protéines foliaires (protéines des feuilles vertes) pour se substituer des tourteaux de soja dans l’alimentation du bétail, ces derniers étant moins rentables et les bêtes carencées en protéines. Les résultats sont édifiants. Je cite les travaux du professeur Costes, de l’Institut National Agronomique :

« […] pour les acides aminés essentiels, on s’aperçoit que l’on n’a pas de carence en l’un des acides aminés dans l’ensemble des protéines foliaires […] les plantes vertes sont de plus de véritables pilules vitaminiques […] ». C’est un constat extraordinaire ! Je continue la citation : « […] le troisième avantage réside dans le caractère fonctionnel de ces protéines. La feuille est un organe capteur d’énergie, fixateur de CO2 et la plupart de ces protéines ont une fonction catalytique précise ; ainsi, elle s’oppose aux protéines de réserve trouvées dans les graines des céréales et des légumineuses, qui ont une fonction différée. Au contraire, dans les feuilles, ce sont des protéines qui ont une fonction physiologique et biochimique immédiate […] ». Et pour finir, une invitation à la cueillette : « […] le quatrième avantage est qu’elles (les protéines vertes) sont présentes dans les feuilles, organes aériens faciles à ramasser […] de plus, très souvent, les végétaux producteurs sont pérennes, ce qui représente une grosse économie d’énergie par rapport aux plantes annuelles, qui doivent être semées chaque année sur un terrain labouré ». MAIS QUE DEMANDE LE PEUPLE !

Venons-en maintenant à l’intérêt nutritionnel, en chiffres, des plantes sauvages, par rapport à nos aliments de tous les jours :

·         L’ortie séchée contient 40 % de protéines équilibrées en acides aminés essentiels contre 20 % dans la viande !
·         100gr de feuilles d’amarante ou de chénopode contiennent environ 800 mg de calcium, autant que dans le fromage, 6 fois plus que dans le lait de vache !
·         100 gr de fruits séchés d’épine-vinette contiennent 20 mg de fer, soit 2,5 fois plus que dans le foie et 10 fois plus que dans la viande bovine !
·         100 gr de cynorrhodon (fruit de l’églantier) contiennent 1350 mg de vitamine C, soit .27 fois plus que dans l’orange !
Source : guide nutritionnel des plantes sauvages et cultivées (F. Couplan)

Pourquoi diable les plantes sauvages ne font plus partie de notre culture ? Quel a été le frein à la suite de la découverte de M. Costes ? A chacun de se faire une idée. La mienne serait de dire que l’argent et le pouvoir y sont pour quelque chose…

L’Alimentation



Nouveau week-end, nouveau sujet. L’Alimentation avec un grand A, les nutriments, les régimes : constats et conséquences sur notre santé et nos perceptions.

Pourquoi manger ? Question qui pourrait sembler bête de sens, mais intéressante si on creuse un peu le sujet. En découle d’autres questions : quoi manger ? comment manger ? etc.
Sans transformer l’alimentation en dogme (ce dont ne se gênent pas certains agro-industriels…), il nous a paru important d’avoir un regard critique sur l’alimentation et ses implications sur tous les plans. Et une fois de plus, il s’agit de tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues et de fausses informations qui circulent dans les média.

C’est un vaste sujet, deux jours ne nous ont pas suffi à aborder tous ses aspects mais, comme à chaque week-end, les cours nous ont apporté une vision globale et des pistes de réflexion.

Nous avons d’abord passé un bon moment à discuter de l’eau, sa composition selon les milieux, son action sur notre corps et les conséquences de la consommation de ces différentes eaux. On apprend notamment que l’eau minérale (à la différence de l’eau de source) est thérapeutique et qu’elle doit être consommée en quantité modérée de par sa charge importante en minéraux. On apprend aussi que les tisanes, thés et sirops ne remplacent en rien la consommation d’eau seule : au contraire, ils aident à l’élimination de l’eau dans le corps en faisant travailler davantage les reins. L’eau est source de vie mais aussi source de polluants ! On ingurgiterait environ 1,5 kg par an de résidus médicamenteux, métaux lourds et autres pesticides à travers l’eau du robinet, que les stations de traitement ne savent pas encore éliminer…

Et voici encore, pour votre plus grand plaisir, quelques idées reçues concernant des produits de (très) grande consommation :
Le pain, succès énorme dans l’histoire alimentaire occidentale, contient de grosses molécules protéiques (notamment la glutamine) auxquelles nos enzymes ne sont pas encore adaptées (rappelons que le pain ne prend une place importante dans notre alimentation que depuis « seulement » 1000 ans, et que le blé d’aujourd’hui est hautement hybridé). Les conséquences de la surabondance du pain et/ou du blé dans notre alimentation vont de l’irritation de la paroi intestinale jusqu’aux troubles articulaires !

Selon certains auteurs, le maïs (céréale créée par l’homme et hautement hybridée elle aussi) poserait le même genre de problème d’assimilation…

Le sucre raffiné (donc dépourvu de nutriments) n’existe pas dans la nature. Non seulement il conduit à des réactions d’accoutumance comme une drogue, mais il favorise la sécrétion d’insuline pour réguler la glycémie dans le sang. Or, si sa consommation est répétée, les réserves d’insuline s’épuisent et le pancréas s’affaiblit. A terme, l’insuffisance d’insuline conduit au diabète…

Le lait induirait une acidification plasmatique, qui oblige notre organisme à puiser des citrates et acides faibles organiques dans ses réserves tampons, ainsi que du carbonate de calcium dans ses os pour y remédier. On observe finalement une décalcification de l’organisme. Vive les produits laitiers riches en calcium qui décalcifient !
Autre conséquences de la surconsommation de lait : considérations éthiques. Les conditions de l'élevage laitier sont plutôt pires pour les animaux que celles de l'élevage à viande : les petits sont séparés de leur mère très tôt voire dès la naissance, les mâles et une partie de femelles finissent par être envoyées à la boucherie, après avoir été nourris de lait en poudre. Les mères sont « tirées » deux fois par jour, le plus souvent avec des machines fonctionnant par dépression (au contraire de la traite manuelle qui masse la mamelle et tire le lait de façon mécanique). Enfin, le lait d'élevages modernes contient souvent des résidus de pesticides, d'antibiotiques, d'hormones, etc.

Je n’aborderais pas ici la question de la consommation de la viande, un article entier lui est consacré (voir les sacro-saintes protéines animales).

Et les plantes sauvages dans tout ça ?

Elles tiennent une place particulière. Longtemps considérées comme « herbes pour les pauvres », elles reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène, sous les effets conjugués du « retour au naturel » avec l’alimentation biologique et la naturopathie notamment, et des salvatrices études scientifiques menées ces dernières décennies, « prouvant » leur intérêt nutritionnel. Ce sont de vraies bombes nutritionnelles !

samedi 30 mars 2013

La gaie toxicité



Citons une nouvelle fois Paracelse : « Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison »
C’est vrai ! Tout est poison. Prenez de l’eau, aussi pure soit-elle, et buvez-en 5 litres d’un coup (bonne chance) et… rendez-vous au Père Lachaise… (si on boit de l’eau vraiment pure – c'est-à-dire seulement H2O, sans minéraux, il va falloir moins de 5 litres !).

On vit dans l’angoisse (ou le déni) des produits toxiques et on occulte tout le reste. L’oxygène, par définition, est toxique ! C’est à cause de lui que les cellules s’oxydent et qu’avec le temps, on meurt. Le temps est donc toxique aussi alors. Et que dire de ceux qui s’empoisonnent la vie au travail, à la maison, avec le stress, les problèmes personnels, etc. ?

TOUT est question de dose, et souvent de bon sens. Jadis, on utilisait les plantes les plus toxiques de notre flore à des fins médicinales. On le fait aujourd’hui encore avec l’homéopathie ou en allopathie.
Les meilleures plantes sauvages comestibles pourraient s’avérer dangereuses si elles étaient consommées en très grande quantité, à haute dose. De même que nos aliments de la vie courante : par exemple, consommés en trop grandes quantités, les épinards s’avèrent toxiques pour les reins, car leur cuisson libère des oxalates dont les cristaux peuvent précipiter dans les tubes rénaux.

Mais ouvrons plus large. Beaucoup plus large. Par exemple, si la terre ne possédait pas son atmosphère, outre l’air que nous respirons qui nous manquerait, nous serions bombardés de rayonnements solaires, nucléaires et électromagnétiques en tout genre ! En fait, la notion de toxicité est complexe. Elle dépend de nombreux facteurs : l’élément dit toxique (principe toxique d’une plante, venin, métaux lourds, facteurs psychologiques, etc.), l’élément dit intoxiqué (l’homme, une bactérie, un organe, la planète, l’esprit, etc.) et l’expression de cette toxicité (dose, concentration, durée d’exposition, période de latence, mode d’absorption, synergie, etc.). Or, nous percevons cette toxicité de manière différente, voire contradictoire selon les origines culturelles, nos représentations du monde et nos émotions (une plante considérée comme une panacée dans une région donnée peut être vue comme le pire poison dans la vallée voisine !).

Aussi, il serait autant dangereux d’idéaliser (à notre image) le monde, la Nature, les animaux, les plantes, etc. que de les voir obscurs. Ce paradoxe d’extrémisme des deux extrêmes qu’est le monde (au sens large) nous dépasse et il convient d’en être conscient, pour éviter de tendre vers l’un ou l’autre, d’observer une certaine forme de relativisme, de sagesse. Plus généralement, il faudrait éviter de considérer toute chose comme blanc ou noir et d’exiger de soi-même l’intégration d’une part de mystère entre ces deux "bornes".